Rencontre avec Denis Raisin Dadre

Denis Raisin Dadre est le directeur musical de Doulce Mémoire, qui jouera le spectacle La Roulotte d’Arlequin au théâtre de Périgueux.

Est-ce que vous pouvez nous parler de l’œuvre La Folie sénile de Biancheri, ou plus exactement de ce que vous en avez fait ?

La Roulotte d’Arlequin, c’est l’histoire d’une troupe ambulante de l’Italie des années 1960 qui va de village en village pour présenter la Pazzia senile (La Folie sénile), une mise en musique totalement déjantée d’un canevas de  commedia dell’arte faite par Adriano Banchieri (1568-1634), un moine olivetain à la personnalité singulière –  fondateur d’une académie au sein de son monastère, organisateur de spectacles dans son cloître, et auteur d’ouvrages fort lestes…

Dans notre spectacle, cette troupe des années 1960 (heureuse et joyeuse époque où l’on roule en Fiat 500 et en Vespa !) déballe sa roulotte aux yeux du public pour la transformer en théâtre une scène où se mêlent des éléments décoratifs à la fois de la Renaissance et du pop art : on a inventé le pop art renaissance !

Banchieri changeait à chaque fois les intermèdes entre les actes de sa Folie sénile : cette troupe de jeunes gens fait exactement pareil, mais en insérant des chansons de son quotidien – ainsi font irruption des chansons italiennes qui remplacent les madrigaux du 16e siècle… On revit l’Italie insouciante des années d’après-guerre, en plein développement économique, ces chansons que vous avez encore en mémoire : Come prima Volare, Bambino, le Manbo italiano dansé par Sofia Lorens… En fait, cet art italien de pouvoir composer des mélodies populaires qui ont un charme fou se vérifie aussi bien dans le madrigal de 1560 que dans les chansons de 1960. La continuité est telle qu’il est arrivé que certains spectateurs ne remarquent même pas que nous avions inclus des chansons des années 1960 !

C’est un spectacle né en plein milieu de la pandémie : alors que toutes nos dates avaient été annulées, je ne me voyais pas reprendre avec des requiem et des leçons de ténèbres. Je voulais proposer quelque chose de pétillant, joyeux, insouciant. J’ai passé beaucoup de temps à sélectionner des chansons, à voir des films italiens, à écouter les chansons du festival de San Remo années par années, à m’imprégner de cette époque, sa joie de vivre, son optimisme, son énergie… Ce fut un formidable remède contre le pessimisme, d’ailleurs aujourd’hui La Roulotte d’Arlequin est remboursée par la Sécurité sociale : car nous guérissons les hypocondriaques, les déprimés et les mélancoliques !

Il est important de préciser aussi que c’est une troupe. Dans La Roulotte d’Arlequin, il y a un mélange de générations et une vraie transmission entre des artistes plus aguerris et des chanteurs jeunes qui apportent leur flamme et leur enthousiasme. À vrai dire, j’ai rarement vécu tel bonheur dans ma carrière.

Quel est votre œuvre ou compositeur baroque préféré ?

J’ai un grand faible pour M. A. Charpentier et sa musique pour la Semaine sainte, comme Les Leçons de Ténèbres. Il y a un sentiment mystique chez lui, ce qui n’est pas le cas de toute la musique religieuse baroque qui célèbre quelquefois plus le roi que Dieu, c’est d’une profondeur infinie. Il y a une âme chez Charpentier. 

Quel est votre plus grand souvenir de spectacle en tant qu’interprète ?

Justement, j’ai le souvenir d’avoir tremblé et d’avoir eu les larmes aux yeux à la fin des Leçons des Ténèbres, de Morales, À la fin, j’ai éteint la dernière bougie, qui signale la mort du Christ. Auparavant, nous avions donné ce concert dans des églises où il ne fait jamais noir. Cette fois-là, nous jouions dans une mine de sel en Pologne à cent mètres sous terre : quand j’ai éteint la bougie, on ne voyait plus rien. Miserere, extinction de la bougie, noir total. J’ai craint que le public crie de peur, mais en fait il y a eu un silence total. J’ai été transpercé.

Et en tant qu’auditeur ?

J’en ai beaucoup… Je pense à l’interprétation du Sacre du Printemps de Stravinski par l’ensemble Les Siècles à l’Opéra de Pékin, sur des instruments du début du 20e siècle, donc de l’époque de Stravinski. Tout d’un coup, j’ai enfin entendu cette œuvre. Mes grands souvenirs sont souvent des décapages d’une musique sur laquelle j’avais une résistance, qui me permettent de redécouvrir une œuvre parce qu’elle est enfin bien interprétée. Comme Beethoven, qui n’est pas ma passion, enfin bien joué sur les bons instruments avec la bonne formation par Frans Brüggen et son orchestre du 18e siècle. Je pense aussi aux Arts florissants de William Christie jouant les Histoires sacrées de Charpentier en 1980 : on n’avait jamais entendu ça, c’était incroyable.

Propos recueillis par Clémence Hérout

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