Rencontre avec Florence Bolton

Florence Bolton est codirectrice artistique de l’ensemble La Rêveuse, qui a cocréé avec Benjamin Lazar L’autre Monde ou les États et Empires de la lune, un spectacle mêlant théâtre et musique à partir d’un texte de Cyrano de Bergerac (le vrai, pas le personnage d’Edmond Rostand).

L’autre Monde ou les États et Empires de la lune est l’un des premiers textes de science-fiction jamais écrits, où l’auteur Cyrano de Bergerac imagine un voyage sur la lune. On trouve dans le texte de nombreuses allusions à la musique. J’imagine qu’il s’agissait du point de départ de la construction musicale du spectacle ?

Oui, nous sommes partis de petites notes de musique insérées dans le texte qui montrent que les habitants de la lune s’expriment en musique. De manière générale, l’ambiance sonore est essentielle dans cette œuvre, qui décrit des livres qui parlent tout seuls, la langue de nobles qui parlent avec de la vraie musique, une langue du peuple qui est plus gestuelle, évoque de nombreux bruits… Le texte étant un roman à l’origine, il devait être adapté pour la scène : nous pouvions donc décider d’y insérer de la musique comme nous le souhaitions. 

À cette époque, la musique est encore ressentie comme un vrai langage, une rhétorique. Nous souhaitions que le spectacle passe ainsi sans cesse de la parole à la musique de manière fluide tout au long du spectacle. Ainsi, la musique introduit le texte qui suit, ou prolonge ce qui vient d’être dit. 

Quelle musique choisir ? Nous avons vite abandonné l’idée de créer une langue musicale, une sorte de code spécifique aux habitants de la lune que nous aurions utilisé tout au long du spectacle, mais qui aurait peut-être manqué de simplicité. Nous avons alors choisi les œuvres musicales à intégrer au spectacle. Loin de nous restreindre à des musiques correspondant strictement à l’époque du texte, nous avons choisi des compositeurs aux fortes personnalités, hauts en couleur, des équivalents de Cyrano dans le domaine musical. 

Johannes Hieronymus Kapsberger, un théorbiste italien très original, en est un bon exemple. Ses pièces, qui datent du 17e siècle, sont parfois tellement expérimentales qu’on les croirait modernes ! Il en va d’ailleurs de même pour le texte, dont les idées nous paraissent de plus en plus en résonance avec les problématiques sociales et historiques d’aujourd’hui : il y est question de la place des jeunes dans la société, de la religion, du véganisme…

Nous avons également inventé des dialogues en musique, des « conversations lunaires », avec Benjamin Perrot, qui codirige La Rêveuse avec moi et joue du théorbe, du luth et de la guitare. La musique est un « personnage » important du spectacle.

On entre peu à peu dans ce spectacle éclairé seulement aux bougies, dans lequel le temps s’écoule plus lentement, comme dans une veillée. On quitte notre monde pour entrer dans l’Autre Monde…

Quelle est votre œuvre ou votre compositeur baroque préféré ?

Je dirais Purcell, que nous avons beaucoup joué et enregistré avec La Rêveuse. C’est un compositeur qui nous a toujours fascinés.

À titre personnel, je pense aussi à Marin Marais, qui est devenu plus connu grâce au livre Tous les matins du monde de Pascal Quignard, et le film qui en a été tiré par Alain Corneau. Marin Marais occupe une place très importante dans l’histoire de l’école de viole française. Il a réussi à créer un style, une « pédagogie » et a formé un nombre important d’élèves.

Je pense que Benjamin Perrot vous répondrait plutôt qu’il préfère Bach, pour le défi technique de jouer ses pièces au luth ! 

Quel est votre plus grand souvenir de spectacle en tant que spectatrice ?

Mahabharata/Nalacharitam de Satoshi Miyagi, donné au Festival d’Avignon en 2014. C’était un éblouissement, le plus beau spectacle que j’aie jamais vu. Nous en sommes sortis, Benjamin Perrot et moi, hébétés de beauté, prêts à prendre un avion pour supplier Satoshi Miyagi de travailler avec La Rêveuse ! 

Je pense aussi à Atys de Lully dans la production des Arts Florissants en 1989, qui a sans doute été à l’origine de mon envie d’en faire mon métier. Adolescente, traînée par mes parents, j’y étais pourtant allée de très mauvaise grâce en pensant que j’allais m’ennuyer ! Cela a été un grand choc esthétique, et plus particulièrement le moment du Sommeil, dansé avec tant de grâce par le grand Jean-Christophe Paré. Ce spectacle devrait être montré dans les lycées et les collèges, tout le monde devrait y avoir accès ! 

Et en tant qu’artiste ?

Eh bien, toutes les représentations de L’Autre Monde ou les États et Empires de la lune. Parfois, je regrette presque de jouer dedans, car j’aimerais tellement le voir en tant que spectatrice ! À chaque représentation, nous sommes emportés dans cet autre monde, avec Benjamin Lazar qui est si bon conteur. Chaque fois, je me dis « mais quel grand moment » alors qu’on l’a joué plus de cent cinquante fois… Je ne m’en lasse pas et j’envie ceux qui ne l’ont pas encore vu : il leur reste encore de beaux moments d’émerveillements en perspective ! 

Propos recueillis par Clémence Hérout.

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