Rencontre avec Vincent Tavernier

Après Lucile Tessier côté musique, découvrez Le Sicilien ou L’Amour peintre côté théâtre avec son metteur en scène, Vincent Tavernier.

C’est une œuvre très peu connue de Molière, qui était la dernière entrée d’un gigantesque spectacle de cinq heures – le clou du spectacle, en fait ! Le Roi, qui l’avait beaucoup aimée, avait demandé qu’on la rejoue seule à la cour. Elle a donc été reprise et transposée par Molière pour devenir une comédie-ballet de chambre et de poche : courte et légère, elle donne à voir en condensé l’art et la science de Molière et Lully. C’est un mélange de galanterie et de burlesque, de farce et d’élégiaque, sur les rapports amoureux. C’est d’autant plus d’actualité que cela traite de la manière dont un homme devrait parler d’amour à une femme…

Pourquoi est-elle si peu jouée ?

D’abord, comme toutes les comédies-ballets, elle coûte cher à monter. C’est une pièce conçue avec des parties musicales faisant partie intrinsèque de la structure de la pièce, que l’on ne peut supprimer. Il faut donc des comédiens, des chanteurs, des danseurs et des musiciens – et, en outre, on ne peut pas les faire répéter séparément et mettre leurs numéros à la suite comme des petits wagons ! Il faut que tous travaillent ensemble à une même unité stylistique.

Ensuite, et même si cela tend à changer, sa courte durée était souvent jugée insuffisante pour occuper une soirée de théâtre.

Le Sicilien fait aussi partie des comédies galantes de Molière, dont la plupart sont d’ailleurs encore moins connues, comme La Princesse d’Élide, Les Amants magnifiques, Psyché ou Mélicerte, qui fait plus penser à Marivaux qu’à du Molière. Je pense à une scène en particulier du Sicilien qui est un chef d’œuvre de malice, de délicatesse et de farce, mais qui n’a sans doute pas la verve du Médecin malgré lui ou du Bourgeois gentilhomme. Toute cette palette de l’art de Molière a été considérée comme futile ou mièvre par les critiques depuis le 18e siècle – sachant d’ailleurs que ces critiques n’avaient plus accès aux parties musicales et dansées des œuvres, qui se retrouvent à boiter ou perdre de leur sens : c’est la musique qui permet de comprendre ce que Molière a en tête. La musique a quelque chose d’objectif : si elle est rapide et brillante, elle n’est pas triste et mélancolique. Le texte en revanche peut avoir une ambiguïté : par exemple, le burlesque peut passer pour de la gravité. La musique donne une piste : sans elle, on ne comprend pas la pièce.

Quelle est votre pièce de Molière préférée ?

Cette question, c’est comme si vous demandiez à un parent quel enfant il préfère ! Chaque pièce a ses qualités et son caractère propre. Les Fourberies de Scapin sont une perfection d’écriture et d’organisation dramatique, L’École des Femmes est un chef d’œuvre dans la psychologie de ses personnages, Le Mariage forcé est une comédie-ballet éblouissante dans ce qu’elle induit de la performance des acteurs et danseurs, Monsieur de Pourceaugnac est incroyablement bien fait… Non, je ne peux pas en choisir une.

Quel est votre plus grand souvenir de spectacle en tant qu’artiste ? 

Nous jouions justement Monsieur de Pourceaugnac dans sa version comédie-ballet à l’Opéra de Rennes : c’est la première fois que l’on jouait le spectacle dans une salle d’opéra, et je me demandais si le public d’opéra y trouverait son compte, je craignais qu’il trouve que ça parlait beaucoup…. Quand le rideau est tombé, il y a eu un silence de mort, qui m’a paru interminable. Et puis une sorte de rugissement du public acclamant la pièce s’est élevé, et ça m’a touché profondément. C’était la preuve que ces comédies-ballets ont une puissance capable de toucher le public contemporain, et cela nous a poussé à approfondir notre exploration de ces œuvres.  

Et en tant que spectateur ?

Je pense au Bourgeois gentilhomme de Molière mis en scène par Jean-Louis Barrault que j’avais vu en 1973 à la Comédie-Française, avec Jacques Charon, Isabelle Adjani, George Descrières, Geneviève Casile, Simon Eine, Robert Hirsch, André Dussolier, Jean-Paul Roussillon… Bref, des vedettes dans tous les rôles ! J’avais quinze ans à l’époque, et ça m’avait complètement emballé. Du coup, j’étais allé voir Harold et Maude de Colin Higgins joué par Madeleine Renaud, également mis en scène par Jean-Louis Barrault au Théâtre d’Orsay : si le texte n’est pas immortel, la performance de Madeleine Renaud m’avait paru extraordinaire. Beaucoup de notions s’entremêlent dans mon souvenir : la qualité de jeu d’une actrice de quatre-vingts ans qui joue comme une jeune fille, l’optimisme du texte, Barrault qui avait conçu son propre théâtre et sa troupe… Je me revois tout tremblant à la fin pour me faire dédicacer un livre de Jean-Louis Barrault sur la mise en scène que j’avais lu cinq ou six fois. J’avais même écrit à Madeleine Renaud, qui m’avait répondu ! Évidemment, j’ai toujours ce livre, qui est complètement rapiécé, avec la lettre de réponse de Madeleine Renaud dedans…

Propos recueillis par Clémence Hérout.

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